Qui vote l’état d’urgence à l’Assemblée ?

Les votes des députés passés au crible

Tristan Vartanian
4 min readJan 21, 2021

Analyse. En 2021, l’état d’urgence sanitaire pourrait se poursuivre… et pour un bon moment. L’Assemblée nationale a donné, mercredi 20 janvier, son feu vert en première lecture pour la prorogation de ce dispositif jusqu’au 1er juin 2021. C’est la quatrième fois que celui-ci est voté depuis le début de la crise du Covid-19, en mars dernier. Mais qui sont ces députés favorables à l’instauration et au maintien de ce régime d’exception ?

Assemblée nationale française — image libre de droits

Ce sont principalement les députés de La République en Marche (LREM) et leurs alliés — Agir, MoDem et UDI — qui se sont montré favorables à la prorogation de l’état d’urgence sanitaire à chaque scrutin. Ils défendent l’argument d’une visibilité à long terme pour permettre à l’exécutif de prendre toutes les mesures pour contrer l’épidémie de Covid-19. En mai dernier, quelques voix dissonantes émergent et s’abstiennent comme Emilie Cariou (LREM), Claire Pitollat (LREM) et Hubert Julien-Laferrière (LREM). Les groupes alliés de LREM posent leurs conditions. Le député Olivier Becht (Agir) a prévenu le gouvernement qu’il ne serait « pas possible de donner un chèque en blanc sans débattre du fond de la stratégie ».

À l’inverse, les groupes La France insoumise (LFI) et la Gauche démocrate et républicaine sont aussi d’une grande constance dans l’opposition ferme à l’instauration ou au prolongement de ce régime d’exception. LFI dénonce à ce propos une « boite à outils des pleins pouvoirs ».

Pour Les Républicains (LR) et les Socialistes, les positions sont moins tranchées. Le groupe LR a majoritairement voté pour l’état d’urgence sanitaire aux deux premiers scrutins, les 21 mars et 9 mai 2020. En revanche, la plupart de ses députés a voté contre le 7 novembre 2020. Du côté des Socialistes, les députés se sont massivement abstenus le 21 mars 2020 puis ont voté contre lors des deux scrutins suivants. Le groupe a d’ailleurs fermement défendu une motion de rejet préalable, mercredi 20 janvier, dénonçant une « absence de bilan préalable » à cette prorogation.

Depuis plusieurs mois, les députés de l’opposition prônent une prolongation plus courte avec davantage de contrôle du Parlement et une transparence accrue des décisions émises par le Conseil scientifique. Claire Hédon, la Défenseure des droits, avait déjà alerté dans une tribune publiée dans Le Monde le 24 octobre 2020 sur les éventuelles dérives d’un état d’urgence permanent : « Il me semble qu’en aucun cas le Parlement ne devrait se dessaisir de sa mission, en autorisant le pouvoir exécutif à prendre par ordonnances des mesures nouvelles ou à perpétuer sans limite dans le temps celles déjà en place ».

Tous les états d’urgence se valent-ils ?

En novembre 2015, après les attentats du Bataclan, puis à cinq reprises sous le quinquennat Hollande, la question de l’état d’urgence — sécuritaire cette fois — est posée aux députés. Lors de la précédente législature, l’Assemblée se polarise autour de deux forces principales : la majorité à gauche et Les Républicains à droite. Retour sur le vote des députés en détails.

À droite, le message est clair. Depuis 2015, on vote l’état d’urgence sécuritaire. De rares exceptions s’écartent toutefois de la consigne de vote, comme Pierre Lellouche (LR), Jean-Frédéric Poisson (LR) et un certain Édouard Philippe (LR), lors du scrutin du 13 décembre 2016. Même consigne pour l’état d’urgence sanitaire, du moins jusqu’au 9 mai dernier, lors du premier vote pour le rallonger. Si certains gardent le cap en maintenant leur vote favorable à l’image de Christian Jacob (LR), nombreux sont ceux qui finissent par voter contre le renouvellement de l’état d’urgence sanitaire. Parmis eux, Éric Ciotti (LR) et Marc Le Fur (LR) regrettent la faible consultation des parlementaires. « Ce n’est pas indigne que de vouloir réclamer que le Parlement soit écouté”, explique Philippe Gosselin (LR), le 7 novembre 2020, à la tribune pour justifier son opposition au texte.

Le président du groupe UDI, Jean Christophe Lagarde, suit le même schéma. Après avoir toujours voté les textes proposant un état d’urgence, il s’oppose en novembre dernier au prolongement de l’état d’urgence sanitaire.

À gauche, sur les 280 députés socialistes élus en 2012, la quasi-totalité vote l’instauration de l’état d’urgence en novembre 2015 ainsi que ses prorogations successives. Lors de la législature suivante, les 30 députés du groupe ne votent pas l’état d’urgence sanitaire, préférant s’abstenir puis voter contre. « Notre principale critique tient au fait qu’il n’y a rien dans le texte sur l’urgence sociale », expliquaient en mai les socialistes.

Du côté de la Gauche démocrate et républicaine (GDR), nombre de députés ont voté pour l’instauration de l’état d’urgence le 19 novembre 2015. Passé ce scrutin, la grande majorité du groupe s’est opposée de manière systématique à toute prolongation ou réinstauration de celui-ci, y compris dans sa version sanitaire. C’est le cas d’André Chassaigne (GDR), Jean-Philippe Nilor (GDR) ou Marie-George Buffet (GDR). « En dépit de l’émotion et de l’effroi qui saisissent chacun d’entre nous, il faut avoir le courage politique de sortir de ce régime d’exception », expliquait André Chassaigne en juillet 2016, lors des discussions pour allonger l’état d’urgence sécuritaire.

Pour l’heure, une nouvelle prolongation de l’état d’urgence sanitaire n’est pas adoptée. Le Sénat devra se prononcer le 27 janvier avant une adoption définitive.

Léo Seux et Tristan Vartanian — étudiants au CFJ (promo 75)

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